mercredi, janvier 19, 2005

Lucien Fontanarosa, par Michel Ciry

“ Il est accordé à certains êtres - ils sont très rares - de naître nantis de tout ce qu’on peut rêver de posséder qaund on vient au monde, j’entends, des dons exceptionnels, la beauté physique et celle de l’âme, autrement dit, tout ce qu’il importe d’obtenir du destin. Ce fut le cas de Lucien Fontanarosa grand artiste et homme d’une telle qualité que j’ai considéré cet athée comme étant un saint qui s’ignorait. Quand je le lui disais, il s’esclaffait d’un rire demeuré juvénile bien au-delà de la jeunesse, ce qui ajoutait encore de l’éclat aux traits qu’il avait superbes, d’un classicisme qu’on retrouvait dans sa peinture, noble caractéristique qui n’empêchait nullement cette œuvre d’être d’une originalité des moins répandues et parfaitement de son temps. Fontanarosa était si doué qu’il fallait beaucoup l’aimer pour ne pas le haïr à force d’envie. En effet, tant d’aisance au sein de la rigueur qu’impose le désir de réaliser une œuvre épargnée de tout fléchissement confine à la provocation confraternelle. En fait, meilleur des confrères, Fontanarosa ne visait aucunement à défier mais, de par l’immensité de ses dons il ne pouvait éviter que sa production soit d’une supériorité incommodante pour la plupart d’entre nousExcellant en tous genres, il évoquait Venise, le canal Saint Martin ou les beautés de la Provence avec autant de bonheur qu’il en apportait dans l’exécution de natures mortes où la musique joue un grand rôle,... Doté d’un précieux sens de synthèse, il lui suffit d’à peine suggérer pour plonger autrui dans une atmosphère dont la sensible intensité entraîne un délicieux envoûtement visuel contre lequel on ne peut rien, ce bon magicien des brosses étant d’un pouvoir sans limites dès qu’il a décidé par le truchement d’une touche magistrale de nous tenir à merci de la plus plaisante façon qui soit... L’œuvre de ce dionysiaque mesuré est un vibrant hymne clamé à la gloire de la nature, et donc à celle du Créateur de toutes choses; c’est en cela qu’à l’insu de son auteur elle est religieuse, quelque sensuelle qu’il lui advienne souvent d’être... » Michel Ciry

vendredi, janvier 14, 2005

Lucien Fontanarosa, par Guy Vignoht : “ Il incarnait le bonheur. Le bonheur ne devrait pas mourir. ”

Pierre Mac Orlan, qui me recevait les dimanches dans son appartement sombre de la rue Constance à Montmartre, me disait que Lucien Fontanarosa, en illustrant le Quai des brumes et la Bandera, lui apportait du soleil de Venise et de Sienne. “ C’est un exégète, écrivit-il, qui sait compléter un livre en s’incorporant avec une sensibilité très personnelle dans la vie présentée par un écrivain... C’est un témoignage incomparable de l’intelligence, de l’honnêteté visuelle de l’artiste. Son capital d’illustrateur est considérable, sa destinée est lumineuse. ”Lucien Fontanarosa est né en décembre 1912 à Paris. Sa jeunesse, c’est Paris et l’Italie. A l’Ecole Estienne, il rencontre Jacques Ratier qui devient son ami puis son marchand. En 1933 et 1934, il expose à la Société nationale des Beaux-Arts, obtient une bourse de voyage et va peindre en Espagne et au Maroc. En 1937, il entre, avec Annette Faive, aussi peintre (qui deviendra sa femme), à la Villa Medicis à Rome pour quatre ans et se passionne aussi pour la musique. Le monde entier connaît aujourd’hui ses trois enfants musiciens : Patrice, né en 1942, Frédérique née en 1944, Renaud né en 1945 dont il fit un remarquable portrait à la cithare. Il entre à l’Institut en 1955, expose en Angleterre, aux Etats-Unis, au Japon, en France et passe ses étés en Provence : le Palais de la Méditerranée à Nice organise en 1973 une vaste rétrospective de ses peintures. Son audience est internationale. Il participe à des expositions collectives. Il fut Premier Grand prix de Rome en 1936 (âgé de 24 ans), Grand Prix de la Ville de Paris et Médaille vermeil, Grand Prix des Peintres Témoins de leur Temps. Ses toiles furent acquises par l’Etat, le M.A.M. et par les villes françaises (Cambrai, Chartres) et étrangères (Sofia, Nottingham).
C’est à Lyon, après la Libération, que je vis l’un de ses plus admirables portraits, au musée. Ce fut une révélation. Car Lucien Fontanarosa a participé au Salon des “ Moins de Trente ans ” en 1941, organisé par Virginie Bianchini, avec deux toiles : Canal de la Villette et Canal Saint Martin. Il habitait alors 97, rue Compans à Paris. Sur la même cimaise on voyait les oeuvres de Maurice Verdier, Claude Schurr, Pruvost, Patrix, Malclès, de Rosnay, Savary, Ciry. Le critique Vanderpyl écrivait dans Paris-Midi en 1941 que Fontanarosa s’imposait aux “ Moins de Trente Ans ” par son calme réfléchi et la finesse de sa palette. Or c’était la guerre, les privations et, en art, l’influence misérabiliste de Francis Gruber. Ses amis furent Nicolas de Staël, Rohner, Humblot, Brayer. Je crois que ses vrais amis de pensées ont été cités par les plus grands écrivains qui font la relation entre Fontanarosa avec l’école italienne, celle de Guardi ou Canaletto (René Huyghe). Sa palette avait atteint une grande pureté native, celle du jardin des délices, celle de la lumière au goût de miel. La translucidité lumineuse est, en effet, non seulement dans la coupole de la Salute, du Palais des Doges ou de San Giorgio. Elle fait chanter ses guitaristes et ses violonistes sur ses toiles dont l’une est intitulée le Bonheur. La lumière caresse ses portraits étonnés dans leurs beaux regards dignes de certaines oeuvres de Goya : Annette, le petit chasseur, la jeune fille aux pastèques. Odalisques ou enfants rêveurs éclairent le spectateur. On y retrouve son enfance, ses printemps, ses étés avec les fleurs et le soleil, la musique et la vie, les fruits appétissants des peintres de la nature silencieuse de la Hollande du XVIIè siècle avec la mystérieuse alchimie des ocres clairs, des rouges et des bruns particuliers et le maniérisque baroque en moins.
On partage le sourire de l’Ange de Reims dans le silence, les ombres légères, l’émerveillement silencieux des adolescents : ceux qui ont leur petit bateau dans les bras ou leur premier archet de violon. On retrouve le goût latin, toscan, de l’harmonie, cultivé, sensuel et généreux magnétiquement chaleureux sous ses pinceaux ou dans la pureté de son dessin non seulement dans ses toiles mais dans ses multiples décorations murales : à Liège, à Poitiers, à St-Germain-en-Laye et dans un appartement du regretté paquebot France, lorsque la France faisait travailler des artistes de génie comme lui. En 1957, il est fait chevalier de la Légion d’honneur. Car non seulement son œuvre peint est considérable mais il nous a légué de rarissimes lithos en noir ou en couleurs, des dessins et des illustrations de plusieurs centaines de livres d’art et de livres de poche : Zola, Dorgelès, Carco, Hemingway, Céline, Cesbron, Camus, Mauriac, Colette... et bien d’autres. Peintre représentatif de cette lignée dans la finesse et la sensibilité françaises venue de François Clouet, il n’est pas étonnant qu’il illustra entre autres, les œuvres de Ronsard et qu’il fut le peintre des Amours. Soudain en 1975, cette lumière qui pétillait dans ses toiles comme du champagne, s’éteignit. Il est mort le poète. Son ami Gilbert Cesbron écrivit ce que nous avons tous ressenti avec ses enfants, son épouse, son frère Dominique, le photographe des peintres : “ j’ai reçu la mort de Fontanarosa comme une blessure, une douleur, une injustice. Comme un contresens aussi. Pour des milliers d’entre nous il incarnait le bonheur. Le bonheur ne devrait pas mourir. Il me semblait que le monde entier, les fleurs, les fleuves auraient dû prendre le deuil... ” Enfin, devant ses musiciens qu’il peignait en 1943 et qu’il engendrait dans sa chair pour la postérité “ les écoutant, les applaudissant, il nous est, il nous sera impossible de ne pas les revoir (Georges Auric). Fontanarosa nous a légué, selon ses propres termes, son refus de la confusion “ qui couvre tant de faiblesses, tant d’abandons et qui prend cyniquement le nom de liberté “ (sic) ”.

vendredi, janvier 07, 2005

Lucien Fontanarosa, par Michel Ratier, Galerie Chardin, Paris

"Un regard sur le bonheur, la joie, la vie dans ses formes les plus vibrantes."

Fontanarosa, peintre français d’origine italienne... Cette dualité immédiate, suggestive, marque sa vie et son œuvre. La résonance même de son nom, des séjours fréquents en Vénétie, au cours de ses premières années, le sentiment d’être italien, le “ climat méditerranéen ” contribuent certes à sa formation personnelle, à l’ébauche de sa vision. Vouée dans les années 1940 à une gamme sévère de quatre à cinq tons contrastés, posés à plat, la palette du peintre, au cours des années, s’élargit et s’enrichit. Vers 1952 elle gagne en vigueur, en intensité : renonce au parti qu’elle tirait d’une sobriété jugée nécessaire. La couleur témoigne d’une véritable maîtrise. Elle exalte la lumière qui émaille le fond des compositions de larges raies ; elle nuance les ombres, les reliefs, modèle les formes, capte les transparences, vivifie les chairs. Elle se traduit par une sensation isolée, mais cerne par sa puissance mystérieuse la qualité d’un spectacle, devient valeur. La nature suscite partout l’attention amusée de Fontanarosa, stimule son imagination. La rigueur, les exigences de la construction n’effacent pas la qualité du sentiment éprouvé, laissent filtrer cette “ folie des débuts ” dont parle l’artiste.
L’harmonie triomphe de la géométrie, l’aisance de la sévérité... Amoureux des reliefs, du caractère, des nuances, Fontanarosa aborde chaque pays, chaque peuple, chaque ville, avec le même respect, la même tolérance, le même enthousiasme. Il échoit alors au peintre d’accorder la singularité de l’objet avec sa sympathie pour lui ; de saisir, pour nous le communiquer, le langage intime, voilé, permanent, éternel, des êtres et des choses. L’organisation de la composition, le souci de garder l’émotion première, l’équilibre des couleurs, des formes, n’interviennent que dans la mesure où la beauté, l’harmonie, la vie peuvent y régner. Résolue à enrichir son originalité en dépit des courants contraires, peu soucieuse de forcer l’adhésion par les seules habitudes du talent, de donner aux autres, de peur de les décevoir ensuite, la sensation de l’évasion passagère, l’œuvre de Lucien Fontanarosa ouvre, par un tracé qui lui est propre, les voies d’un univers meilleur où l’on peut trouver à loisir, bonheur, équilibre charnel, sensible, musical, du monde et de l’âme humaine.
Michel Ratier

jeudi, janvier 06, 2005

Lucien Fontanarosa : commentaire

“Je crois que toute création comporte, au début, une aventure, une angoisse, et un cheminement pour arriver à cerner l’émotion de l’artiste. Cette dernière se traduit, sur la toile, par des tons dominants, d’autres plus atténués. La rigueur doit suivre le sentiment et l’ordre succéder à ce que l’improvisation peut avoir de rapide et à la mise en place des éléments. Si une toile a besoin d’une construction, la construction ne doit pas s’imposer au détriment de l’inspiration colorée, de la recherche et de la création de formes. Même une œuvre habile, bien menée à son terme, ne saurait vraiment émouvoir s’il lui manque cette “ folie des débuts ”. Ainsi la pensée, la conception du sujet, de sa qualité, de ses rapports étroits avec la vie enrichissent l’idée initiale qui ne perd rien de son dynamisme. Au fond, tout se passe comme si l’artiste, tel l’orchestre, essayait au milieu des sons aigus et graves, de développer un rythme intérieur, de lui trouver des prolongements mélodiques et de nous amener insensiblement au centre de sa vision.”
Lucien Fontanarosa
Propos recueillis le 24 octobre 1963 par Michel Ratier