Pierre Mac Orlan, qui me recevait les dimanches dans son appartement sombre de la rue Constance à Montmartre, me disait que Lucien Fontanarosa, en illustrant le Quai des brumes et la Bandera, lui apportait du soleil de Venise et de Sienne. “ C’est un exégète, écrivit-il, qui sait compléter un livre en s’incorporant avec une sensibilité très personnelle dans la vie présentée par un écrivain... C’est un témoignage incomparable de l’intelligence, de l’honnêteté visuelle de l’artiste. Son capital d’illustrateur est considérable, sa destinée est lumineuse. ”Lucien Fontanarosa est né en décembre 1912 à Paris. Sa jeunesse, c’est Paris et l’Italie. A l’Ecole Estienne, il rencontre Jacques Ratier qui devient son ami puis son marchand. En 1933 et 1934, il expose à la Société nationale des Beaux-Arts, obtient une bourse de voyage et va peindre en Espagne et au Maroc. En 1937, il entre, avec Annette Faive, aussi peintre (qui deviendra sa femme), à la Villa Medicis à Rome pour quatre ans et se passionne aussi pour la musique. Le monde entier connaît aujourd’hui ses trois enfants musiciens : Patrice, né en 1942, Frédérique née en 1944, Renaud né en 1945 dont il fit un remarquable portrait à la cithare. Il entre à l’Institut en 1955, expose en Angleterre, aux Etats-Unis, au Japon, en France et passe ses étés en Provence : le Palais de la Méditerranée à Nice organise en 1973 une vaste rétrospective de ses peintures. Son audience est internationale. Il participe à des expositions collectives. Il fut Premier Grand prix de Rome en 1936 (âgé de 24 ans), Grand Prix de la Ville de Paris et Médaille vermeil, Grand Prix des Peintres Témoins de leur Temps. Ses toiles furent acquises par l’Etat, le M.A.M. et par les villes françaises (Cambrai, Chartres) et étrangères (Sofia, Nottingham).
C’est à Lyon, après la Libération, que je vis l’un de ses plus admirables portraits, au musée. Ce fut une révélation. Car Lucien Fontanarosa a participé au Salon des “ Moins de Trente ans ” en 1941, organisé par Virginie Bianchini, avec deux toiles : Canal de la Villette et Canal Saint Martin. Il habitait alors 97, rue Compans à Paris. Sur la même cimaise on voyait les oeuvres de Maurice Verdier, Claude Schurr, Pruvost, Patrix, Malclès, de Rosnay, Savary, Ciry. Le critique Vanderpyl écrivait dans Paris-Midi en 1941 que Fontanarosa s’imposait aux “ Moins de Trente Ans ” par son calme réfléchi et la finesse de sa palette. Or c’était la guerre, les privations et, en art, l’influence misérabiliste de Francis Gruber. Ses amis furent Nicolas de Staël, Rohner, Humblot, Brayer. Je crois que ses vrais amis de pensées ont été cités par les plus grands écrivains qui font la relation entre Fontanarosa avec l’école italienne, celle de Guardi ou Canaletto (René Huyghe). Sa palette avait atteint une grande pureté native, celle du jardin des délices, celle de la lumière au goût de miel. La translucidité lumineuse est, en effet, non seulement dans la coupole de la Salute, du Palais des Doges ou de San Giorgio. Elle fait chanter ses guitaristes et ses violonistes sur ses toiles dont l’une est intitulée le Bonheur. La lumière caresse ses portraits étonnés dans leurs beaux regards dignes de certaines oeuvres de Goya : Annette, le petit chasseur, la jeune fille aux pastèques. Odalisques ou enfants rêveurs éclairent le spectateur. On y retrouve son enfance, ses printemps, ses étés avec les fleurs et le soleil, la musique et la vie, les fruits appétissants des peintres de la nature silencieuse de la Hollande du XVIIè siècle avec la mystérieuse alchimie des ocres clairs, des rouges et des bruns particuliers et le maniérisque baroque en moins.
On partage le sourire de l’Ange de Reims dans le silence, les ombres légères, l’émerveillement silencieux des adolescents : ceux qui ont leur petit bateau dans les bras ou leur premier archet de violon. On retrouve le goût latin, toscan, de l’harmonie, cultivé, sensuel et généreux magnétiquement chaleureux sous ses pinceaux ou dans la pureté de son dessin non seulement dans ses toiles mais dans ses multiples décorations murales : à Liège, à Poitiers, à St-Germain-en-Laye et dans un appartement du regretté paquebot France, lorsque la France faisait travailler des artistes de génie comme lui. En 1957, il est fait chevalier de la Légion d’honneur. Car non seulement son œuvre peint est considérable mais il nous a légué de rarissimes lithos en noir ou en couleurs, des dessins et des illustrations de plusieurs centaines de livres d’art et de livres de poche : Zola, Dorgelès, Carco, Hemingway, Céline, Cesbron, Camus, Mauriac, Colette... et bien d’autres. Peintre représentatif de cette lignée dans la finesse et la sensibilité françaises venue de François Clouet, il n’est pas étonnant qu’il illustra entre autres, les œuvres de Ronsard et qu’il fut le peintre des Amours. Soudain en 1975, cette lumière qui pétillait dans ses toiles comme du champagne, s’éteignit. Il est mort le poète. Son ami Gilbert Cesbron écrivit ce que nous avons tous ressenti avec ses enfants, son épouse, son frère Dominique, le photographe des peintres : “ j’ai reçu la mort de Fontanarosa comme une blessure, une douleur, une injustice. Comme un contresens aussi. Pour des milliers d’entre nous il incarnait le bonheur. Le bonheur ne devrait pas mourir. Il me semblait que le monde entier, les fleurs, les fleuves auraient dû prendre le deuil... ” Enfin, devant ses musiciens qu’il peignait en 1943 et qu’il engendrait dans sa chair pour la postérité “ les écoutant, les applaudissant, il nous est, il nous sera impossible de ne pas les revoir (Georges Auric). Fontanarosa nous a légué, selon ses propres termes, son refus de la confusion “ qui couvre tant de faiblesses, tant d’abandons et qui prend cyniquement le nom de liberté “ (sic) ”.
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